Gouacheuse passionnée Estelle Lagarde se révèle

Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours ?

Je m’appelle Estelle, j'ai 27 ans et je suis designer et gouacheuse en haute joaillerie et horlogerie. Je vis en Haute-Savoie et j’ai créé mon entreprise il y a deux ans.

J’ai fait 4 années d’études en bijouterie joaillerie au lycée Amblard à Valence. Lorsque j’ai terminé, je suis partie travailler à Paris au studio de création Van Cleef and Arpels en tant que gouacheuse durant un an et demi. Puis, j’ai voulu me rapprocher de mes proches en haute Savoie. Là-bas, j’ai trouvé un post dans l’horlogerie en tant qu’émailleuse en Suisse, j’ai gardé ce post 4 ans et je suis partie pour vivre de ma passion.

Y a-t-il eu un événement marquant qui vous a donné envie de faire ce que tu fais aujourd’hui ?

Avant de trouver l’équilibre qui m’a permis de m’épanouir sereinement, je suis passé par des phases douloureuses. 
Un burn-out avec suppléments dépression à "émaillé" ma belle histoire ;-) 

Je ne me rendais pas compte que  la recette du gâteau que j’étais en train de concocter à cette période était nocive. Je l’ai élaboré dans mon coin tranquillement durant 4 ans. Quatre années durant lesquelles, mon emploi m’a amené à travailler quotidiennement sur des pièces en série, à la chaîne. Je pourrais encore les faire les yeux fermés. Une situation qui ne me convenait pas. Chaque jour, j’ajoutais un ingrédient infect à ma préparation. Et sans même l’avoir cuit et mangé j’en étais déjà malade, mais vraiment ! 

Là je me suis dit, Estelle, c’est sûr tu dois arrêter la pâtisserie. 😉 Non trêve de plaisanterie, il fallait que je m’en sorte. Je mourrais sans jeu de mots.

Du coup, j’ai réfléchi à la recette du bonheur.

Je ne la connaissais plus. J’ai dû y réfléchir un moment ! Il n’y a pas de recette pour ça dans les livres. Alors j’ai pris mon temps. J’ai fait une remise en question complète sur ma vie. Je repensais à mes peintures, je ne sais pas, ça me donnait de bonnes émotions. J’en avais marre d’être qui j’étais.

Je voulais parler avec passion de mon métier, je voulais donner des émotions, je voulais transmettre, apprendre, rencontrer, créer, trembler, rire, pleurer, douter, essayer.

Je voulais être et exister.

Je voulais me soigner en même temps donc il fallait que je sois à la maison. Et là, le dessin s’imposait de plus en plus à moi, je devais me mettre à mon compte c’était une évidence. J’étais terrorisé, mais mes convictions et ma force d’aller de l’avant m’ont poussées à me lancer. J’ai aussi eu beaucoup de soutien autour de moi !

MB&F-painting

Aujourd’hui, je suis heureuse, je vis de ma passion c’est incroyable ! J’ai la sensation d’exister vraiment.  Non pas sans difficulté c’est ma nouvelle vie d’entrepreneuse, mais je donnerai le meilleur. J’ai tout à gagner dans cette aventure. J’ai la sensation de m’accomplir, de prendre de l’expérience et de me découvrir ! Ça n’a pas de prix.

J’ai découvert l’art du gouaché pendant mes études de bijouterie.

Je n’avais jamais peint de ma vie avant ça. Au départ, j’ai appris le dessin au crayon (obligatoire avant la peinture), j’aimais bien, mais le jour où nous avons dû tous pendre les pinceaux, la peinture, je ne pourrais pas expliquer ce que j’ai ressenti.

LAGARDE©-Bague-Espoir

J’ai eu la sensation qu’on m’offrait un cadeau, c’était comme un coup de foudre, une nouvelle passion. Alors je me suis complètement abandonnée à ça. Les autres matières comme  l’atelier de fabrication ou les cours généraux n’avaient plus de saveur pour moi.
J’étais guidée par une envie irrépressible de peindre.  J’ai même songé à arrêter la bijouterie à l’époque, pour dessiner. Je ne touchais pas mes leçons, pas mes devoirs, je peignais, constamment. J’allais avec les classes sup pour bosser, mais c'était du plaisir !

Mon professeur d’arts appliqués a sûrement détecté un potentiel en moi, il a été la personne qui croyait le plus en moi.  Il m'a motivée, boostée, guidée. Je me suis accroché à tous ces mots, ils m’ont portés. Je ne sais pas pourquoi. J’avais confiance en lui et je ne voulais pas le décevoir.

C'était mon 1er mentor, il m’a aidé à me construire. Merci Alain.

 

Vous êtes à la fois designer high jewellery et gouacheuse haute joaillerie/ horlogerie, pouvez-vous nous préciser de quoi il s'agit ?

Le designer crée, imagine un produit. Il puise son inspiration à partir de certains mouvements artistiques par exemple ou des thèmes comme la nature, les animaux, etc. C’est en réalisant des recherches sous forme de croquis qu’il va poser son imagination sur papier. Il fera également une recherche de couleur autour de sa pièce. Un bon designer sait prendre en compte les contraintes techniques du bijou également. Il est très important qu’il ait une bonne connaissance des contraintes techniques et de la possibilité de réalisation. Ensuite il faut réaliser un dessin technique de la pièce. Souvent il comporte 3 vues. Une vue de face, une vue de côté et une de dessus. Grâce à ce dessin technique, nous obtiendrons le design final avec les cotations exactes de la pièce. 

Le gouacheur intervient ensuite, son rôle est de mettre en couleur le dessin technique à la gouache de manière à ce que la pièce soit la plus réaliste possible. Bien sûr, il doit respecter la recherche design, dans les volumes, l’utilisation des matériaux et les couleurs. Grâce à cette peinture, nous aurons un aperçu global de la pièce à échelle exacte. Lorsque le dessin est validé, il sera transmis aux ateliers de fabrication et sera utilisé comme « une fiche technique » pour le développement du bijou.

Quelles sont les techniques que vous utilisez ?

Pour ma recherche design, je travaille toujours au crayon graphite lorsque je fais mes recherches croquis et pour ma recherche couleur j’utilise les feutres.

Ensuite, je réalise un dessin technique sur Illustrator. Ce qui permet d’avoir des cotations et un dessin ultra précis.

Une fois le dessin technique terminé, je l’imprime sur papier gris à échelle 1:1 et je réalise le gouaché à la peinture !

Mais la précision de vos dessins semble difficile à atteindre, comment faites-vous?

 

Reproduction Roger Dubuis Huracan

J'ai beaucoup travaillé, je me suis beaucoup entraîné. Cela fait plus de 12 ans maintenant que je peins. Peut-être que ça vient de là. 

Tout se joue dans la souplesse du poignet et des doigts, dans le geste, mais aussi la respiration et la concentration. Je crois que mon passage dans les ateliers d'email, le travail aux binoculaires ont renforcé ma précision. Mais j'ai souvenir que je travaillais déjà un peu à l'émail en dehors du binoculaire, j'ai peut-être des bons yeux ! 

Avez-vous des impératifs lorsque vous créez et quelle serait, pour vous, la pire des fautes de goût ?

Mon impératif c’est la musique. Impossible pour moi de trouver l’inspiration sans son !

La pire faute de goût ? C’est compliqué, je ne suis pas sûr qu’il en existe. Les goûts et les couleurs varient d’une personne à l’autre. Ce n’est pas parce que je n’aime pas que les dix personnes qui se trouvent à côté n’aimeront pas non plus. Donc je ne pourrais pas répondre à cette question.

Je pense que ce qui me déplaît le plus c’est le manque d’âme. C’est tout.

Quelles sont vos plus grandes sources d'inspiration et pourquoi ? Avez-vous un mentor qui vous inspire ?

J’ai la chance de m’intéresser à tout. Vraiment, je suis curieuse. Et je peux trouver de l’inspiration dans n’importe quoi. Un bateau, une voiture, la nature, une bouteille plastique, un voyage, une personne, un poème ou un livre !

Il y a vraiment une chose qui me passionne, ce sont les métiers d’arts. Ça me fascine.

J’aime voir ces gens travailler de leur main, voir l’amour qu’ils mettent dans leurs réalisations, les écouter parler de leur savoir !

Je crée beaucoup pour ma marque autour ça, ça me donne de l’émotion en plus, du partage !

Un mentor? J’en ai eu deux dans ma vie qui m'ont poussé, inspiré, conseillé, épaulé !  Aujourd’hui, je n’en ai plus, je suis assez seule dans mon truc, je dirais que j’ai plutôt des relations qui m’inspirent. Mais c’est dur, j’adorerais recevoir du feedback d’une personne que j’admire ! On verra, il est peut-être sur ma route ? J’ai rencontré beaucoup de personnes ces derniers temps, certaines m’inspirent beaucoup en secret! 😉 

Quelle est la demande de création la plus étrange que vous avez reçue ?

Je n’ai encore rien eu d’étrange haha ! si j’ai eu une demande sympa sur une boîte de caviar un jour. 😊

Si vous deviez décrire votre rapport au temps, que diriez-vous?

Je vous dirais que je suis dans le présent. Dans mon imagination, il y a des choses pour le futur, forcément je suis obligée de me créer un peu de visibilité pour avancer. Mais je ne vais pas trop loin, j’ai totalement conscience que tout peut basculer du jour au lendemain. Que ce soit personnellement, professionnellement parlant, je ne peux pas être sûr de ce que je serais dans 1 an encore moins dans 10. Je n’ai aucun plan défini, je me laisse porter. Donc je suis là maintenant surtout. C’est le plus important et j’éduque mon esprit à ça. Ça me fait encore plus savourer ! Pour le passé, il est passé, et j’ai appris !

Si vous étiez une couleur, une texture ou une matière laquelle seriez-vous ?

Je serais l’orange. Teinté de joie et d’optimisme !

Quelle est la ou les créations dont vous êtes le plus fier et pourquoi ?

Mon collier Solar Light Necklace, les gens l’adorent et c’est la première création que j’ai réalisée le jour ou j’ai décidée de reprendre mes crayons et mes pinceaux. Il a les couleurs telles que je voudrais voir la vie, flamboyante !

 

LAGARDE© Solar lights Necklace 

Vous dessinez aussi beaucoup de montres, pouvez-vous nous dire pourquoi? Êtes-vous attaché à ce type de créations?

Reproduction-Jaeger-Lecoultre-spherotourbilllon

Effectivement, j'aime la difficulté de la précision. Ma première reproduction m'a étonné, en fait j'avais adoré repousser mes limites comme ça! Puis je suis vraiment en train de me lier de passion pour l'horlogerie, je crois. Grâce à ces peintures de montres, j'ai découvert d'autres matières à représenter, ça m'a changé de la Haute Joaillerie. Ça m'a demandé de faire de nouvelles recherches de texture de transparence pour retranscrire correctement les matériaux. 

Je ne suis pas plus attaché aux montres qu'à la joaillerie. Ce sont deux choses différentes et j'aime justement le fait de pouvoir changer de temps à autre. 

Quelle est la montre que vous avez le plus aimé dessiner et pourquoi ?

Je les ai toutes aimées. Elles représentent toutes quelque chose de différent pour moi. Je n'en ai pas une préférée, elles ont toutes leurs petites histoires bien à elle. 

Vous êtes la fondatrice de LAGARDE JEWELRY DRAWING​​, pourriez-vous nous dire comment et pourquoi est né ce projet?

 J'ai toujours eu cette volonté de transmettre mon savoir-faire. Les métiers rares se perdent de plus en plus. Il existe de nombreuses réponses à cela dont une en particulier qui suscite particulièrement mon intérêt : La transmission.

Les savoir-faire sont précieusement gardés, comme un trésor à ne pas voler.

Ça leur donne beaucoup de rareté bien sûr et une valeur luxueuse ! 

Mais je crois profondément que leur mort vient des secrets trop bien gardés.

Je n’ai pas envie de ça avec mon métier. Ça fait quelques années que je donne une énergie dingue pour faire connaître ce savoir-faire, que je parle avec amour et passion de mon travail. J’ai l’impression qu’il suscite de plus en plus la curiosité, qu’il est même reconnu dans l’art, qu’il crée certaines vocations. Je crois que la transmission est dans la continuité du chemin parcouru.

J'ai eu vraiment beaucoup de demandes pour donner des cours dans les écoles, dans les entreprises pour faire des cours perso, en France comme à l'étranger. Cela a renforcé mon idée.

Je m’étais préparé à le faire de manière physique une fois par mois. Nous avions tout mis en place et le Coronavirus est venu chambouler tous nos projets. Malheureusement la situation sanitaire nous en a empêchés.

Mais je ne pouvais pas répondre à la demande clairement. J’avais mon travail de freelance, le développement de ma marque à côté qui me prend beaucoup de temps aussi.

Je ne voulais pas renoncer à mon travail de freelance pour me consacrer seulement à la formation. Car j’adore réaliser toutes ces belles collections de haute joaillerie que l’on me confie, mais aussi ces somptueuses pièces horlogères. En même temps, j’étais très frustrée de ne pas pouvoir répondre à la demande de ces personnes, de ne pas pouvoir les guider alors que c’est aussi une de mes volontés. Alors pour répondre à ce besoin, j’ai créé un site de cours en ligne. Grâce à ce projet, je pourrais j'espère répondre à tous.

J’espère pouvoir transmettre toute ma passion et ma technicité et ceci même à travers le digital !

Pour ma part, j'ai réalisé ce projet avec beaucoup de passion et d’amour.

J’espère sincèrement que ce sera ressenti. J'ai hâte d'être dans quelques jours pour le lancement du site www.lagardejewelrydrawing.fr ! 

On m’a souvent dit, tu n’as pas peur qu’on vole ton travail ? Qu’il y est meilleur que toi si tu donnes tous tes secrets?

Bien sûr que j’ai peur de perdre mon travail qu’elle question. Je ne sais rien faire d’autre que ce que je suis aujourd’hui !

Mais je n’ai qu’une vie, je veux accomplir de belles chose.

Et je n’ai pas envie que cette peur me sépare de mes valeurs, de mes idées, de mes réflexions c’est le prix à payer.

Non je n’ai pas peur de créer “un meilleur” ou 10. J’en serais heureuse même! Et j’espère qu’il transmettra lui aussi et qu’il fera encore des meilleurs que lui!

Y a-t-il des projets pour l'avenir que vous souhaitez partager avec nous ?

Vraiment, ma dernière envie c’est de faire une exposition autour de mes peintures, du gouaché de bijoux j’adorerai. Puis en ce moment je réfléchis de plus en plus à partir avec un sac à dos voyager.  Prendre mes pinceaux, ma peinture, mon ordi, ce dont j’ai besoin pour travailler et c’est tout. Me dématérialiser, faire des rencontres, voir d'autres cultures. Ça me semble compliqué de partir bosser en vadrouille comme ça, je ne sais pas. Mais je sens que j’y pense de plus en plus. On verra ! :) 

Si vous aviez un conseil à donner à un futur entrepreneur comme vous, quel serait-il?

Nous sommes nos propres limites. 

Se lancer ça se prépare évidemment un minimum, ça se construit. Je crois que c'est une idée à faire germer et ensuite c'est une plante à arroser chaque jour pour essayer d'en faire un bel arbre un jour ! 

Il faut croire en ses rêves. Ça demande du travail bien sûr, et ça demande de reconfigurer notre esprit pour faire sauter toutes les barrières limitantes que nous nous posons tout au long de notre vie. Le premier pas c'est le courage! Après c'est un long chemin à découvrir...